Résumé
Le lecteur découvre à travers ce travail de maturité les Cônes marins, leur appareil venimeux, le fonctionnement de leur venin et le potentiel de l’utilisation pharmacologique du venin de synthèse.
La famille des Conidae ou Cônes, des gastéropodes marins, est représentée par plus de 600 espèces et affectionne particulièrement les récifs des océans tropicaux. Ces mollusques, longs de quelques centimètres à plus de 20 centimètres, possèdent le poison le plus puissant du monde animal connu à ce jour. Leur appareil venimeux fonctionne par injection d’un harpon empoisonné et sert à capturer une proie ou à se défendre. Les Cônes ne sont pas agressifs mais la substance toxique de certaines espèces tue rapidement l’humain avide de les capturer pour leur beauté.
Le venin contient une très grande diversité de conotoxines ou peptides spécifiques aux Cônes et est nettement plus complexe que celui des autres animaux venimeux. La très grande spécialisation des molécules du venin de Cônes a permis d’étudier de nombreux mécanismes dans la neurobiologie notamment. Les conotoxines aux effets analgésiques offrent de bonnes perspectives au soulagement des douleurs sévères. Des propriétés à haut potentiel dans le traitement de cancers, du diabète et d’addiction y résident aussi.
La grande biodiversité du venin des Cônes offre une banque naturelle riche en principes actifs dont l’exploitation dans le domaine thérapeutique médical en est à ses débuts et s’annonce très prometteuse.
1. Introduction
La nature m’a toujours passionné. Voir et comprendre le comportement des animaux, étudier leurs capacités de survie et les stratégies développées au cours de l’évolution m’intéressent beaucoup. Le venin, cette arme très puissante renfermant un énorme potentiel pour la médecine, a particulièrement retenu mon attention. S’il ne tue pas, rend-il plus fort ?
La nature faisant bien les choses, je me demandais initialement quels venins d’animaux offraient le plus grand espoir d’améliorer la qualité de vie de l’humain. Le sujet étant vaste, mon intérêt s’est alors porté sur le venin des Cônes, ces animaux possédant un poison puissant et surtout le plus complexe en termes de composition moléculaire. J’ai donc choisi la synthèse de molécules issues du venin des Cônes et son utilisation dans le domaine médical, soit la problématique “Quelles utilisations médicinales ou pharmacologiques peut-on faire du venin de synthèse des Cônes ?”
Avec ce travail, j’espère desceller quelques secrets cachés et bénéfiques de ces substances souvent synonymes de souffrance ou de mort. Ainsi, j’ai d’abord abordé la famille des Cônes, dont j’ai eu l’occasion d’admirer quelques spécimens à l’exposition “Animaux mystérieux marins et terrestres” au Mycorama de Cernier (canton de Neuchâtel) en octobre 2015. Ensuite, j’ai survolé les venins dans le monde animal pour plonger dans celui de mes mollusques marins. Les quelques notions acquises sur leur poison m’ont permis de comprendre des propriétés biochimiques qui ont débouché sur des applications pharmacologiques et d’explorer l’avenir de ces toxines dans la recherche biologique.
2. Présentation des Cônes
2.1 Généralités
Les Conidae, plus connus sous leur nom vernaculaire de Cônes, sont une famille d’escargots marins. Ces gastéropodes possèdent le poison le plus puissant du monde animal connu à ce jour.
Si les premiers Cônes sont apparus à l’Eocène, il y a environ 60 millions d’années, la famille des Conidae se développe surtout à partir du Lutécien, entre 40 et 50 millions d’années avant notre ère et se nourrit principalement de vers et de mollusques. L’origine des premiers Cônes piscivores remonte au Miocène (il y a 23 millions d’années) [1]. La famille des Conidae comprend aujourd’hui plus de 600 espèces et a élaboré, au cours de son évolution, une large palette de neurotoxines composant son venin.
Les Cônes affectionnent particulièrement les eaux chaudes. Si la plus grande partie des espèces vit dans les récifs coralliens des océans tropicaux, certains spécimens résident dans des eaux plus tempérées et même dans la Méditerranée. Ces dernières ne sont heureusement pas mortelles pour l’homme et la douleur ressentie à leur piqûre est comparable à celle d’une piqûre d’abeille. [2]
2.2 Classification
Les Cônes sont des mollusques gastéropodes (familles des escargots) carnivores.
Figure 1 : Position taxonomique des Cônes
L’embranchement des mollusques [3] possède une grande diversité. Il contient des catégories bien différentes d’espèces animales, qui répondent cependant toutes aux mêmes critères : la consistance molle du corps recouvert de mucus et la présence d’un manteau ou d’une coquille. La classe des gastéropodes est caractérisée notamment par une masse charnue appelée pied servant à la reptation ou à la nage et par leur coquille dorsale torsadée constituée d’une seule pièce. La sous-classe des streptoneures, où l’on trouve entre autre les Cônes, se différencie des euthyneures, à laquelle appartiennent les escargots terrestres, par la disposition du système nerveux. Les superfamilles des streptoneures se démarquent par la forme de leur coquille. La classification aboutit aux trois familles, dont celle de mes fameux Conidae. Ce regroupement contient plusieurs genres et de multiples espèces dont les plus connus font partie du genre Conus.
Pour remarque, la taxonomie n’est pas très développée dans ce document, étant donné d’une part sa complexité et d’autre part le faible apport à ce travail.
La famille des Cônes est répartie en trois groupes selon son alimentation (figure 2, ci-dessous) :
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le régime vermivore (ex : Conus leopardus)
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le régime malacophage ou régime de mollusques (ex : Conus marmoreus)
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le régime piscivore (ex : Conus magus)
2.3 Anatomie
La coquille du Cône englobe et protège les organes vitaux. Sa couleur, sa taille et ses motifs varient suivant l’espèce. La taille du Cône est définie selon la longueur de sa coquille : les plus petits mesurent quelques millimètres [exemple : 10 mm pour le Conus mcbridei (Lorenz, 2005)] alors que les plus grands atteignent les 20 cm (exemple : Conus leopardus).
Figure 3 : Variété de dimensions des Cônes
Les parties de son corps qui peuvent sortir de sa coquille sont son pied, ses yeux, son proboscis (filin du harpon qui lui sert aussi de bouche) et son siphon. Le siphon est une sorte de tuba lui permettant de respirer et de repérer ses proies lorsqu’il est caché dans le sable. Les autres organes se situent dans sa coquille, y compris tout l’arsenal nécessaire à la fabrication de son venin. [4]
Figure 4 : Anatomie externe d'un Cône
2.4 Appareil venimeux [5]
Le Cône dispose d’une volumineuse glande à venin reliée à son pharynx par un long canal sinueux, le conduit à venin. À cette intersection se trouve aussi le sac radulaire, également nommé sac à harpons, dans lequel sont créées les dents radulaires. Ces dents sont des harpons creux et ouverts à leurs deux extrémités, ce qui permet au venin de s’y accumuler et de s’écouler dans la proie. Au pharynx fait suite un petit organe de quelques millimètres au repos, le proboscis. Une fois détendu, il peut atteindre les trois quarts de la longueur de la coquille.
Lorsque l’animal veut capturer une proie, une dent est éjectée du sac radulaire et vient se placer devant le conduit à venin où elle se remplit de poison. Le proboscis s’invagine alors et vient saisir ce harpon empoisonné. Le Cône allonge son proboscis et enfonce brusquement son arme dans sa proie pour y déverser le poison. Le proboscis est retiré du corps de la victime tandis que la dent reste plantée. Une nouvelle dent est déjà prête à l’emploi dans le sac radulaire. Enfin, le Cône engloutit sa proie grâce à sa bouche extensible.
L’appareil venimeux est le même pour tous les Cônes, mais la composition du venin et la forme de la dent radulaire sont spécifiques à chaque espèce.
2.5 Utilité du venin pour l’animal [6]
Le Cône sécrète deux différents types de venin : l’un pour la chasse, l’autre pour la défense. Le venin offensif sert avant tout à paralyser la proie pour l’engloutir. S’il est attaqué par un prédateur, le mollusque utilise le défensif afin de mettre hors d’état de nuire son adversaire.
Les Cônes sont des prédateurs chassant à l’affût, c’est-à-dire qu’ils se camouflent jusqu’à ce qu’une proie passe à leur portée puis l’attaquent en lui injectant du venin à effet paralysant instantané. Cette arme chimique permet d’attraper des proies rapides et est d’une efficacité remarquable, afin que la proie envenimée meure sur place.
Le venin [7] est constitué de plusieurs catégories différentes de neurotoxines [8]. Certaines d’entre elles perturbent le système nerveux de la victime, c’est-à-dire que celui-ci commence à émettre des signaux électriques “pirates”, effet assez similaire à celui d’un taser [9]. La victime ne contrôle donc plus ses mouvements. D’autres neurotoxines se chargent de bloquer la transmission des signaux électroniques entre les neurones et les muscles en piratant les axones (une partie du neurone), les empêchant ainsi de transmettre les informations (signaux électriques) aux muscles [10]. La combinaison de ces deux actions agit de sorte que le poisson ne maîtrise plus son corps et se retrouve paralysé.
Figure 8 : Un Cône attrapant sa proie de manière "normale"
Dans certains cas particuliers, une troisième catégorie de ces toxines “drogue” le poisson, le désoriente, voire même l’anesthésie. On y trouve une sorte spécifique d’insuline très similaire à celle des poissons qui inhibe les capacités sensorielles [11]. En effet, l’insuline fait baisser le taux de glucide dans le sang. Ceci plonge les poissons dans un état second et les mène à une hypoglycémie. Certains Cônes (ex : Conus geographus) ont même la capacité de relâcher cette substance directement dans l’eau, anesthésiant ainsi non pas un mais plusieurs, voire un banc de poissons d’un coup, afin de les avaler. Une fois les proies dans sa bouche extensible, le Cône leur injecte son venin paralysant pour les digérer sans aucun risque de rébellion.
Figure 9 : Un Cône avalant un banc de poissons en hypoglycémie
Ces caractéristiques venimeuses sont présentes surtout chez les Cônes piscivores, ceux dont le venin est le plus intéressant à analyser. Le venin du Cône est spécifique à l’espèce et à son alimentation. Par exemple, on trouve des toxines agissant sur les vertébrés dans le venin du Conus geographus, mais pas dans celui du Conus marmoreus, mangeur de mollusques. Les procédés ci-dessus ne fonctionnent donc pas pour les Cônes molluscivores et vermivores. Le poison défensif est de composition chimique beaucoup plus complexe. La création d’un anti-venin est très compliquée et n’offre actuellement aucun remède en cas d’attaques défensives envers les humains.
2.6 Cônes et Humains
Ces mollusques sont les auteurs d’accidents relativement fréquents. En 1993, par exemple, 16 personnes ont perdu la vie suite à des piqûres défensives [12]. Douze d’entre elles ont succombé à cause de Conus geographus, ce qui prouve sa réputation de Cône le plus dangereux. Mais le Cône n’est pas un animal agressif. Sa coquille est généralement très belle et prisée sur certains marchés (par exemple Conus textile). Voulant attraper l’animal, le plongeur le prend dans ses mains et se fait piquer. Seul un extrêmement faible pourcentage des Cônes est mortel pour l’homme. Il s’agit essentiellement de piscivores, car ils immobilisent plus rapidement leurs adversaires. Si l’humain se fait malheureusement harponner par un Conus geographus, il va dans un premier temps être paralysé puis risque de mourir dans les 2 heures à venir, ses chances de survie étant réduites à 30 %.
La gravité de ces accidents découle de l’efficacité et de l’extrême complexité du venin. De plus, celui-ci change d’une espèce de Cônes à l’autre, ce qui rend la création d’un anti-venin très difficile. L’humain s’intéresse à ces gastéropodes non seulement pour la beauté de leur coquille, mais aussi pour leurs venins qui représentent un trésor pour les neurobiologistes.
Figure 10 : Conus geographus et Conus textile
3. Le venin
3.1 Quelques généralités
Les venins jouent un rôle important dans la prédation et sont aussi un moyen de défense contre un éventuel agresseur.
3.1.1 Animaux venimeux [13]
Notre planète est peuplée de près de 200'000 espèces d’animaux venimeux. Ces animaux sont caractérisés par la présence d’une glande exocrine spécialisée qui produit une substance toxique ou venin. Ils se distinguent par leur comportement « venimeux actif » ou « venimeux passif ». Chez les premiers, les plus nombreux, la glande à venin est reliée à un appareil inoculateur atteignant un organisme par injection directe du venin, généralement par piqûre (dents-harpons pour les Cônes, dards chez les insectes, aiguillons de scorpions) ou morsure (crochets pour les serpents, mandibules chez les araignées, pattes-mâchoires ou forcipules de scolopendres) ou dans certains cas, par projection (serpents tels les cobras cracheurs par exemple). Les animaux venimeux « passifs » comme les amphibiens, certains arthropodes, par exemple les iules, ne disposent que de la glande à venin. Leur poison pénètre le milieu intérieur d’un organisme par une blessure ou par franchissement d’une muqueuse externe (conjonctive, pour le crapaud par exemple). La quasi-totalité des grands groupes zoologiques comptent des représentants venimeux à quelques rares exceptions près, notamment les oiseaux.
Le venin est un cocktail complexe de molécules biologiques dont certaines sont des toxines. Celles-ci sont généralement des protéines de structures et d’effets très variés. Seul le venin d’amphibiens constitue une exception car il est caractérisé par sa richesse en alcaloïdes.
La composition des différents venins est complexe et pas toujours bien connue, spécialement chez les animaux marins, car elle peut varier au sein de la même espèce en fonction du sexe, de l’âge, des populations animales et du biotope, voire parfois du régime alimentaire. De plus, les espèces animales ne présentent pas la même sensibilité par rapport aux venins. Le venin d’un animal peut ainsi être composé de principes actifs uniquement sur les arthropodes (certains venins d’araignées ou de scorpions) ou sur les mammifères (venins de scorpions), voire exceptionnellement, uniquement ou principalement sur l’homme (venins de mygales).
En règle générale, les animaux venimeux ne sont pas ou peu sensibles à leur propre venin car ils disposent d’inhibiteurs naturels circulant dans leur sang, phénomène surtout étudié chez les serpents.
3.1.2 Les venins en recherche médicale [14]
Les venins se décomposent en enzymes et en toxines. Les enzymes sont des catalyseurs biologiques favorisant la transformation d’une molécule. Quant aux toxines, elles se lient à un récepteur qui sera activé ou inhibé plus ou moins durablement. La spécificité et le nombre élevé de molécules du venin ainsi que leur puissante action offrent un énorme potentiel aux utilisations pharmacologiques. Aujourd’hui, la recherche s’oriente dans trois directions : la recherche fondamentale, le diagnostic et la thérapeutique. Dans la recherche fondamentale, la très grande spécialisation des molécules a permis d’étudier de nombreux mécanismes biochimiques, cellulaires, physiologiques ou pharmacologiques dans des disciplines aussi diverses que l’allergologie, l’immunologie, la neurologie et l’hématologie. Les principales substances utilisées sont essentiellement issues du venin de cobras, crotales, mambas et vipères mais aussi de méduses, poissons, batraciens, arachnides et Cônes.
Malgré le potentiel offert par la diversité et la spécificité du venin, son utilisation dans le diagnostic médical reste encore très modeste et bénéficie essentiellement aux domaines de la neurologie et de l’hémostase. Les tests diagnostiques effectués utilisent essentiellement des venins de serpents.
La recherche thérapeutique a abouti à la fabrication de sérums antivenimeux, d’anti-inflammatoires, de préparations dans les domaines neurologiques tels que les analgésiques, anticonvulsifs, de produits de traitement de cancer de la peau ou de chimiothérapie anticancéreuse, de produits de contrôle dans le cadre de greffe d’organe, de traitement du diabète non insulinodépendant ou encore à la fabrication d’agents hémostatiques. La liste est loin d’être exhaustive !
Il semble que la recherche n’en soit qu’au commencement des possibilités offertes. Et pourtant en 2004, déjà 212 brevets, dont 154 concernant les venins de serpents, 28 ceux d’araignées, 16 de scorpions et 4 de guêpes, ont été déposés en vue d’une utilisation thérapeutique. En cette même date, une préparation analgésique provenant de venin de Cônes a obtenu de l’administration américaine “Food and Drug Administration” l’autorisation de mise sur le marché. Depuis, des médicaments issus du venin de Cônes et à action thérapeutique en neurologie essentiellement sont en différentes phases de développement et de test. Les paragraphes spécifiques aux applications du venin de Cônes en médecine humaine (chapitre 4) donnent un aperçu de la situation en 2012.
3.2 Le venin des Cônes [15]
Le venin est composé de nombreuses conotoxines, un type de peptide spécifique aux Cônes. Les premières recherches ont démontré qu’il y avait plus de 100 conotoxines dans le venin d’une seule espèce de Cône, mais des études plus récentes ont prouvé que ce nombre était bien plus conséquent et s’élevait jusqu’à 8000 peptides pour le venin du Conus marmoreus ! Cette diversité incroyable des peptides fait des Cônes, les animaux au venin le plus complexe, dépassant de loin celui des araignées (1000 peptides), des scorpions (200 peptides) et des scolopendres (100 peptides).
Les conotoxines ont une chaîne d’acides aminés intégrant des ponts disulfures qui verrouillent la structure moléculaire. Ces ponts rendent la chaîne compacte et stable. Le nom de chaque conotoxine est déterminé selon une nomenclature basée sur son activité biologique, le nom du Cône et le motif de ses cystéines (un acide aminé soufré présent dans les protéines) lesquelles servent à créer des ponts disulfures. Par exemple, la μ-GIIIA est une conotoxine qui bloque les canaux sodium (famille μ), issue d’un Conus geographus (G), et dont le motif formé par ses cystéines est le numéro III. Le “A” désigne la première d’une série de peptides homologues. [16]
Le tableau suivant donne des indications quant à la classification des motifs de cystéines.
Tableau 1 Les cinq premiers motifs de cystéines des conopeptides
* voir figure ci-après avec connections indiquées en jaune
Le tableau ci-après donne un aperçu de quelques familles de conotoxines et de leur action dans un corps humain ou animal. [17]
Tableau 2 Aperçu de quelques familles de conotoxines
La figure ci-dessous représente la conotoxine α-ImI 93 où le α signifie qu’elle inhibe les récepteurs à l’acétylcholine nicotiniques, le Im est relatif au Conus imperialis (Linnaeus, 1758).
Figure 11 La α-conotoxine ImI 93, du Conus imperialis,
avec les ponts disulfures visibles (en jaune)
Le I est le nom du motif de ses cystéines, car la première cystéine est reliée à la troisième, tout comme la deuxième l’est avec la quatrième (I-III, II-IV, quatrième colonne du tableau 1) et il s’agit du 93ème d’une série de peptides homologues.
4. Propriétés médicinales
4.1 Propriétés médicinales à explorer
La majorité des conotoxines est utilisée pour immobiliser rapidement l’adversaire. Ces molécules ciblent des protéines impliquées dans la conduction nerveuse et la transmission neuromusculaire telle que la transformation d’un stimulus sensoriel en signaux électriques. Elles agissent sur plusieurs composants de la jonction neuromusculaire. Leurs actions coordonnées bloquent, avec une grande efficacité, l’action motrice et sensorielle.
Les conotoxines aux effets analgésiques offrent de très bonnes perspectives au soulagement des formes les plus sévères de douleurs chroniques, lesquelles restent encore difficile à traiter de nos jours. Les conotoxines possèdent aussi d’autres propriétés à haut potentiel dans le traitement de cancers, du diabète non insulinodépendant et des addictions. Le haut potentiel d’utilisation des conotoxines découle de la similarité observée entre la structure primaire des conotoxines et celle de peptides mammaliens. De plus, les conotoxines sont de petites molécules [18] qui se révèlent être facilement synthétisables chimiquement. Aussi, le venin, à l’état naturel, est présent sous forme brute qui, une fois raffiné, aboutit à une faible dose de produit final. La synthèse des molécules du venin de Cône prend ainsi toute son importance.
Les conotoxines présentent cependant quelques bémols ou difficultés. La petitesse des molécules raccourcit sensiblement leur durée de vie dans l’organisme, ce qui augmente la difficulté à créer des médicaments. De plus, les peptides sont facilement détruits par les reins, bloquant ainsi leurs effets potentiels. Leurs propriétés physico-chimiques les empêchent aussi de se déplacer efficacement entre les différents compartiments cellulaires, mais aussi entre les différents organes (par exemple les vaisseaux sanguins). Tout ceci rend quasiment impossible l’élaboration de médicaments à consommer par voie orale. Malgré tous ces obstacles, il existe de nos jours plus de 100 peptides commercialisés.
4.2 Applications en médecine humaine [19]
4.2.1 Bref résumé de l'anatomie synaptique
Le venin du Cône s’attaque au système nerveux, aux neurones, plus précisément aux synapses. Celles-ci forment les jonctions entre les deux cellules nerveuses, créant ainsi des chaines qui permettent le passage d’informations entre les cellules et ainsi à travers le corps. [20] Les informations sont des influx électriques dus à une dépolarisation de la membrane du neurone. Celle-ci arrive jusqu’au bouton synaptique et va enclencher un processus chimique qui permet la transmission de l’influx dans la cellule suivante. Premièrement, des canaux ioniques nommés tensio-dépendants vont s’ouvrir à cause de l’influx et vont laisser entrer des ions dans la cellule présynaptique (celle avant la synapse). Des vésicules contenant un type de molécules particulières, les neurotransmetteurs, vont se faire expulser de la cellule et relâcher ce neurotransmetteur dans la synapse. Ces molécules vont se fixer aux canaux ionique chimio-dépendants postsynaptiques et les ouvrir afin de laisser passer des ions dans la cellule suivante. Ces ions sont majoritairement chargés positivement et leur entrée dans la cellule va perturber l’équilibre électrique de la membrane cellulaire. Ce déséquilibre va permettre aux canaux ioniques tensio-dépendants de la cellule de s’ouvrir et encore plus d’ions vont entrer. Une fois atteint un certain stade, la charge positive contenue dans la cellule devient trop grande et sa membrane se dépolarise. L’influx peut continuer ! [21]
Figure 12 : Anatomie d’une synapse
4.2.2 Conotoxines aux propriétés analgésiques
La recherche thérapeutique a produit les résultats suivants qui reflètent l’état des connaissances en 2012.
4.2.2.1 Les conotoxines agissant sur les canaux ioniques voltage-dépendants
Les ω-conotoxines agissent sur des canaux calcium, un type de canal ionique présynaptique sensible à l’ion calcium et qui permet la transmission du message nerveux de la douleur. La conotoxine MVIIA est extraite du venin d’un Conus magus (molécule synthétisée sous le nom de code SNX111, ou Ziconotide) et constitue un antagoniste puissant et sélectif des canaux calciques voltage-dépendants. Elle interrompt la transmission nerveuse : il n’y a pas de flux entrant de calcium et pas de libération de neurotransmetteurs entre les synapses, d’où son effet analgésique.
Figure 13 : Schéma du mode d'action du Ziconotide dans la moelle épinière
Malgré le grand nombre d’effets indésirables (état confusionnel, sensations vertigineuses, troubles de la mémoire, céphalées, somnolence, flou visuel, nausées, vomissements, anomalies de la démarche, coma, troubles suicidaires, …[22]), la nécessité d’avoir des alternatives à la morphine dans les cas les plus graves de douleur chronique a permis au Ziconotide d’obtenir une autorisation de vente sous le nom de Prialt ®.
Des études ont été réalisées sur les toxines du venin de Conus catus et Conus geographus, administrées à des rats. Les conotoxines CVID (molécule synthétisée sous les noms de code AM-336 et CNSB004, Leconotide) et GVIA (molécule synthétisée sous le nom de code SNX-124) ont la capacité de diminuer la douleur d’origine neuropathique.
Plusieurs toxines de la famille μ, ciblant les canaux sodium, ont aussi montré des propriétés analgésiques, comme par exemple la conotoxine KIIIA du Conus kinoshitai. On ne sait pas encore clairement par quel mécanisme cette toxine agit pour diminuer la douleur.
4.2.2.2 Les conotoxines agissant sur les récepteurs nicotiniques
Les récepteurs nicotiniques [23], principalement présents dans le système nerveux autonome ou végétatif, sont des récepteurs permettant aux canaux ioniques de s’ouvrir lorsqu’ils sont en contact avec certaines molécules (dont la nicotine). Les molécules du venin des Cônes agissant sur ces récepteurs sont les α-conotoxines.
Figure 14 : Anatomie d’une synapse avec mise en évidence d’un récepteur nicotinique
Les toxines les plus étudiées dans cette catégorie sont RgIA de Conus regius et Vc1.1 de Conus victoriae. Ce sont des antagonistes spécifiques des récepteurs nicotiniques neuronaux. Vc1.1 (molécule synthétisée sous le nom de code ACV1) possède une action de longue durée (plus d’une semaine après l’arrêt du traitement) contre l’hypersensibilité douloureuse dans des modèles de douleurs neuropathiques chez le rat. Mais, en fin de compte, le développement de l’ACV1 dans le but thérapeutique a été abandonné, faute de preuve de son efficacité chez l’homme.
MII, une autre toxine, semble produire une forte diminution de l’allodynie (douleur déclenchée par une stimulation normalement non douloureuse) mais des études supplémentaires sont nécessaires.
4.2.2.3 Les conotoxines agissant sur les récepteurs NMDA
Tout comme les récepteurs nicotiniques, les récepteurs NMDA servent à ouvrir les canaux ioniques des neurones de l’hippocampe (une glande du cerveau) lorsqu’ils sont en contact avec la molécule NMDA ou N-méthyl-D-aspartate. [24] La conotoxine G de Conus geographus possède un potentiel thérapeutique comme analgésique et anticonvulsivant. La conotoxine T de Conus tulipa présenterait elle-aussi des propriétés analgésiques. Toutefois, les études actuelles mettent en évidence les effets chez le rat uniquement.
4.2.2.4 Les conotoxines inhibant la capture de la noradrénaline
La noradrénaline est un composé chimique dérivé de la phényléthylamine, tout comme l’adrénaline et la dopamine et agit sur les terminaisons nerveuses. Elle est principalement libérée au niveau du tronc cérébrale et par les fibres nerveuses du système nerveux sympathique, qui gère entre autre les contractions du cœur. [25]
Les χ-conotoxines inhibent la capture de la noradrénaline et ont ainsi un intérêt dans la lutte contre la douleur. La conotoxine MrIA, injectée en intraveineuse, a la capacité de diminuer l’allodynie mécanique dans des modèles de douleur neuropathique chez le rat.
Cette molécule a été modifiée afin de prolonger sa durée d’action, ce qui a donné du Pyroglutamate1-MrIA appelé aussi Xen2174. Ce composé a peu d’effet secondaires et une stabilité augmentée. Le Xen2174 est efficace contre l’allodynie mécanique et contre la douleur post-chirurgicale dans des modèles de douleur postopératoire chez le rat. Ce composé est développé par le laboratoire Xenome Ltd et est entré en phase IIb d’essais cliniques (détermination de la dose thérapeutique d’une molécule sur une échelle de 100 à 300 malades) afin de déterminer son pouvoir analgésique postopératoire. La phase IIa (estimation de l’efficacité d’une molécule sur un nombre limité de 100 à 200 malades) a été réalisée lors d’un essai clinique chez des patients atteints de douleurs d’origine cancéreuse. Le Xen2174 a amélioré de manière rapide l’état des malades pendant une période prolongée sans apparition d’effets secondaires majeurs.
4.2 Quel avenir dans la recherche ?
L’humain s’intéresse aux Cônes non seulement pour leur beauté mais aussi pour leurs venins qui font l’objet d’études approfondies essentiellement depuis les années 60. Auparavant, les tests se faisaient en incorporant du poison dans des animaux, tels que des vers, des mollusques, des poissons ou des souris. L’apparition de nouvelles techniques telles que la spectrométrie de masse par exemple, avec laquelle des molécules sont détectées et identifiées, a permis à la recherche de faire un énorme bond en avant.
Les venins d’animaux représentent un trésor riche en biodiversité, que très partiellement découvert à ce jour. En effet, les scientifiques, avides de poursuivre cette exploration prometteuse, y décèlent de nombreux mécanismes biologiques qui offrent une banque naturelle remarquablement riche en principes actifs pharmacologiques.
Dans le domaine thérapeutique médical en particulier, il semble que l’on ne soit encore qu’au commencement de l’exploitation. Grâce à la maîtrise optimisée de la purification des constituants actifs, l’utilisation des venins ne se limite plus à leur toxicité et leurs effets indésirables. Le revers de la médaille réside cependant dans les protéines elles-mêmes facilement attaquées par les mécanismes de défense de l’organisme, comme la protéolyse (mécanisme dégradation, destruction des protéines) et la fabrication des anticorps. Mais de nouvelles stratégies de recherche laissent envisager des perspectives encourageantes.
Dans un premier temps, la technique du criblage (ou screening) des molécules permet d’inventorier des structures moléculaires biologiquement actives et efficaces et d’identifier leurs fonctions. Ensuite, il est possible, grâce à l’analyse combinatoire structure-fonction, de caractériser le plus petit arrangement moléculaire actif, lequel, une fois reproduit par synthèse chimique, engendrera un médicament puissant.
Le programme de recherche sur les venins « Venomics » confirme les espoirs mentionnés ci-avant. Il a été lancé en 2011 grâce au 7e projet-cadre européen et a permis d’approfondir les connaissances sur de nombreux venins, dont celui des Cônes. Il s’est achevé en 2015 aboutissant à la création de la plus grande banque de données de séquence de peptides de l’histoire. La toxicologie a donc de beaux jours devant elle !
5. Conclusion
A travers cette recherche, j’ai découvert quelques spécificités du venin des Cônes marins. Leurs harpons empoisonnés constituent une arme redoutable à effet mortel immédiat pour certaines espèces de Cônes mais offrent aussi un trésor prisé par les domaines neurobiologiques et pharmacologiques. Aujourd’hui, seules quelques capacités de leurs poisons extrêmement complexes sont connues, maîtrisées et exploitées en applications thérapeutiques dans le soulagement des formes les plus sévères de douleurs chroniques. Les scientifiques espèrent étudier d’autres mécanismes biochimiques, cellulaires, physiologiques ou pharmacologiques enfouis dans le venin grâce à de nouvelles technologies récentes ou futures.
Les informations nécessaires à l’élaboration de mon travail de maturité sont principalement issues de sites Internet lesquels m’ont parfois guidé vers des encyclopédies. Je constate que ce travail a consisté en une minutieuse recherche « littéraire » et à en extraire la substance principale afin de la reformuler et de la synthétiser en une structure logique. J’ai cependant effectué une « recherche appliquée » en visitant l’exposition des animaux mystérieux où j’ai découvert des Cônes marins (Conus magus, Conus geographus). J’ai aussi assisté à l’extraction de venin de serpent (vipère ottoman Montivipera xanthina) et de scorpion et reçu en récompense pour l’intérêt porté au venin des animaux, un poster des Cônes de Polynésie française par le responsable en charge des animaux que je remercie au passage pour ses explications et le temps qu’il m’a consacré. J’ai également contacté le Museum National d'Histoire Naturelle de Paris qui, à ma surprise, a répondu à ma demande de textes scientifiques spécifiques. Je suis conscient qu’en tant qu’étudiant au collège, je ne peux pas encore effectuer de recherches en laboratoire en lien avec le venin de Cônes. Mais avec ma passion pour la nature et son potentiel pour la médecine, mes études en biologie m’amèneront peut-être un jour à synthétiser une molécule à partir du venin de Cônes pour soigner et rendre plus fort.
Avec ce travail de maturité, j’ai plongé dans les océans tropicaux pour y découvrir les Cônes, leur stratégie d’envenimation ainsi que quelques propriétés et applications médicinales. Cette expédition a été pour moi une découverte intéressante non seulement du point de vue technique mais aussi en termes de gestion du volume d’informations et de temps. Lors du rendu intermédiaire, je pensais avoir synthétisé l’essentiel du sujet. Mais il manquait encore le fil rouge qui mène de l’introduction à la conclusion, toutes deux alors sans le moindre mot. J’avoue que j’avais sous-estimé la partie rédactionnelle du travail et consacré les week-ends de février et mars à rédiger les compléments. Je garderai un bon souvenir de l’élaboration de ce travail et adresse un merci particulier à Madame Wyrsch Pillonel qui a suivi et guidé mon étude et à mes relecteurs.
Pour finir, j’affirme que le venin de Cônes, s’il ne tue pas, rend plus fort aujourd’hui déjà en améliorant la qualité de vie par le soulagement des douleurs et, à l’avenir, il rendra encore plus fort les humains affaiblis par le diabète, des cancers ou des addictions.
photographiées au microscope électronique
Joseph Volery
Collège St-Michel
Travail de maturité
Mars 2016
Quelles utilisations médicinales ou pharmacologiques peut-on faire du venin de synthèse des Cônes ?
(Röding, 1798)
(Linnaeus, 1758)
(Linnaeus, 1758)
(Linnaeus, 1758)
(Linnaeus, 1758)